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 Ismaël marche d’un pas allègre à travers Shepherd’s Bush Market, un accueillant et épicé marché de l’ouest londonien, coincé sous le pont de la ligne de métro Circle Line vers Hammersmith. Entre les marchands de tapis afghans, au regard perçant, les vendeurs de téléphones portables érythréens, les épiciers indiens, des sikhs avec turban et barbe noire, nous plongeons dans Londres, la ville monde. L’objectif lune des migrants qui s’entassent dans la jungle calaisienne.


La réalité est forcément plus rude. Ismaël a rendez-vous au Jobcenter d’Uxbridge road, le Pôle emploi local qui lui permettra de travailler. Mais ce Darfouri de 27 ans s’est cassé les dents à Manchester, dans le nord de l’Angleterre, avant de débarquer à Londres il y a trois semaines, plus proche des opportunités et de sa communauté. Ismaël nous conduit dans le dédale du marché, derrière les étals du « Bush », où l’on stocke les déchets et les cartons vides. Après Jimmy, un joyeux Caribéen de Trinidad, on tombe sur l’annexe de la Cocoon House, un préfabriqué sommaire où les Soudanais, les Érythréens, les Somaliens, les maudits de la Corne de l’Afrique, se retrouvent pour boire un café, s’entraider et accueillir les nouveaux arrivants fatigués et perdus.



















À notre grande surprise, Bachir, 32 ans, parle un français remarquable. Sa route migratoire, entreprise en 2002, s’est d’abord arrêtée à Lyon. Un an après, il bénéficie de l’asile et d’une carte de séjour qui lui permet de travailler dans une entreprise d’étanchéité à Bron et d’envoyer 150 € par mois aux siens à Kassala à l’est du Soudan. Huit ans plus tard, il obtient même la nationalité française. Mais aussitôt, il prend l’avion pour rejoindre Londres !


Pourquoi une telle ingratitude ? Bachir se montre amer : « En France, même si vous êtes bien éduqué, vous repartez de zéro. On ne regarde pas votre qualification - je suis comptable - mais votre couleur, votre origine. On m’a parfois traité de nègre. En Angleterre, on peut être noir, indien, blanc dans le même restaurant et c’est pareil. Et mon diplôme soudanais est valable pour travailler. »


En attendant que son niveau d’anglais soit suffisant, Bachir vit de petits boulots aux horaires erratiques, dans la manutention, les restaurants. « L’avantage, c’est qu’on n’est pas bloqué par le système. On peut travailler plus de 35 heures si on veut ; c’est le vrai « travailler plus pour gagner plus » ici (sourire). J’ai perdu quatre-cinq ans pour trouver le bon chemin. Je devrais être assis là avec un costume et une cravate. »

Welcome to London

Même si ce n’est pas l’Eldorado rêvé, le Royaume-Uni reste capable d’offrir une nouvelle « vie » aux migrants par la facilité de travailler et la protection des communautés...

Olivier Berger, 28 août 2015

J’en souris maintenant mais quand je me souviens

de la catastrophe de Calais, je pleure

FOUAD, SOUDANAIS

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Fouad, 23 ans, arrivé le 2 juin, a d’autres reproches à faire aux Français : « J’en souris maintenant mais quand je me souviens de la catastrophe de Calais, je pleure. Je suis resté deux mois dans la jungle au printemps, sous la pluie. C’était dur. La France ne fait rien pour les réfugiés. Vous remplissez un dossier mais vous attendez. Je ne connaissais pas Calais avant d’y arriver mais j’ai été très choqué. Je ne pensais pas cela de l’Europe, du pays des libertés et des droits de l’homme. »



Fouad a réussi à passer en Angleterre en infiltrant un camion frigorifique. « J’ai risqué ma vie mais je suis enfin au Royaume-Uni. Ici, vous avez une chance. » Il espère passer un master d’ingénieur en construction, sa formation au Soudan. « Je ne suis pas un réfugié mais un homme forcé de partir. »


Bachir conclut : « Les Européens ne veulent plus partager leurs richesses mais aurais-je quitté ma famille si je gagnais plus que 100$ au Soudan ? On ne peut pas fermer les frontières. L’immigration, c’est la vie. »

« ICI, Vous avez une chance »

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Les clés du système britannique

Au-delà de la connaissance de la langue et de la chaleur de la communauté, les migrants évoquent souvent la facilité de travailler au Royaume-Uni. Même s’il s’agit de petits boulots et d’horaires aléatoires.

Il faut d’abord remplir un dossier dans un « Jobcenter Plus », l’équivalent de notre Pôle emploi. On reçoit un numéro d’allocataire après avoir montré un passeport valide. Personne ne vous demande alors comment et quand vous êtes arrivé dans le pays. Après justification de quatre à six mois de travail, vous pouvez prétendre aux aides sociales (housing benefits).

On obtient la nationalité britannique après cinq ans de présence justifiés par une adresse et des factures. Dans un pays où n’existent ni carte ni contrôles d’identité… 

PARIS XIXe. La tension règne au squat de l’ancien lycée hôtelier Jean-Quarré. Il est 12 h 30 et deux cents jeunes migrants, stoppés à Paris ou revenus de Calais écœurés, ont faim. Des anciens militaires soudanais montent la garde à la porte de la cuisine, bouclée par un frêle verrou. Les cuistots afghans ont préparé des légumes et un tas de pâtes mais les deux bouteilles de gaz sont désespérément vides.


Un petit bonhomme fait alors une apparition miraculeuse, accompagné d’une de ses disciples. Car il s’agit du prophète Benjamin Urcel en personne, sa carte de visite faisant foi d’une église à Kinshasa et d’une autre à Sevran, Seine-Saint-Denis. L’autoproclamée « sentinelle pour Jésus-Christ » envisage pour les migrants, essentiellement musulmans, une alphabétisation à base d’évangélisme chrétien congolais.


En attendant d’élaborer le concept, il accepte de payer les bouteilles de gaz. Me voici embauché comme traducteur, le prophète n’entendant pas les voix anglophones, notamment celle de Moustapha, beau mec et chef du lieu, ancien étudiant à l’université de Khartoum, pourchassé pour son adhésion au Groupe Darfouri, des nationalistes peu en cours auprès du président el-Béchir.

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Prophète congolais et recalé de calais

Le fier équipage – un prophète, deux Afghans, deux Soudanais, deux journalistes nordistes – se répand dans les rues vides de Belleville en quête d’un commerçant ouvert un jeudi d’août à 13 h. On finit par dénicher un épicier place des Fêtes. Retour express au squat et lancement du repas.


Najib, cuisinier de Mazar-E Charif au nord de l’Afghanistan, entreprend avec science un plat pour deux cents tout en psalmodiant la conjugaison française : vider trois bouteilles d’huile, griller les légumes, verser trois seaux d’eau puis à ébullition, cuire les dix kilos de pâtes.


Moustapha rompt la queue qui se forme devant la marmite et décrète que tout le monde sera servi assis dans la cour. « Ce ne sont pas des animaux. » On est sur le fil du rasoir entre Afghans, Soudanais et Maghrébins affamés mais ça tient.


Parmi les surréalistes serveurs, il y a Mohamed, 21 ans. Il revient de Calais. Il dit avoir chaviré au large de la Libye, s’accrochant pendant trois heures à un madrier avant le sauvetage de la marine italienne. Il dit avoir perdu son meilleur ami. Il dit avoir remonté la France en train sans manger. Il dit avoir échoué et pris du gaz lacrymogène sur le site d’Eurotunnel. Il pleure. « J’ai besoin de me reposer et de réfléchir. Là, je ne sais plus. »


Dans l’école, qui deviendrait un centre d’hébergement d’urgence pour répondre à l’augmentation des migrants à Paris, des bénévoles du collectif La Chapelle en lutte, donnent des cours de français. Comme Camille, « une citoyenne, pas une militante », qui va à l’essentiel avec ses élèves : « Bonjour, je veux faire une demande d’asile. » 

Au squat, deux cents hommes à nourrir

Comment faire face à une crise majeure appelée à durer ?

Le Royaume-Uni s’alarme pour 2 500 migrants à Calais mais l’Allemagne s’attend à 800 000 demandes d’asile cette année, des milliers abordent quotidiennement la Grèce, l’Italie, la Hongrie.


– Des bureaux conjoints. Les ONG réclament l’ouverture des voies légales de l’immigration avec des bureaux conjoints à Calais et dans toute l’Europe, notamment, en Grèce et en Italie, les principaux pays d’entrée dans l’Union européenne et l’espace Schengen. Ces « centres de tri » entre réfugiés et migrants économiques seront soutenus financièrement, selon l’accord franco-britannique du 20 août. Une conférence de suivi se tiendra à Paris en octobre avec les autres pays de l’UE.


– Procédures accélérées. On veut accélérer les procédures d’asile (un an en moyenne en France). L’arrière-pensée est aussi de pouvoir renvoyer plus rapidement les migrants qui ne peuvent prétendre au statut de réfugié. Pour cela, il faut établir une liste de pays dits « sûrs » (par exemple, Albanie, Kosovo, Serbie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine, Monténégro représentent 45 % des demandes en Allemagne). « À l’UE de nous aider » ont plaidé jeudi 27 août à Vienne les pays des Balkans.


– Répartir l’accueil. Paris et Berlin veulent un plan d’accueil européen. Les pays de l’est étaient opposés en juin à des quotas contraignants. Une aide au retour est également à l’étude.

– Filières clandestines. Les réseaux de passeurs semblent se régénérer à chaque arrestation, jeter des liens internationaux difficiles à constituer. Un renforcement de la collaboration opérationnelle entre services de police des frontières ne pourra pas nuire… Un commandement unifié au niveau européen est à l’étude sous l’égide de Frontex.


– Aide au développement. Le serpent de mer ultime, au-delà des vieux réflexes coloniaux. L’Aide publique au développement décroît en France à 9,8 milliards d’euros en 2014. Soit 0,36 % du revenu national brut (RNB) quand l’ONU réclame 0,7 %. Seuls cinq pays respectent cet engagement : Danemark, Luxembourg, Norvège, Suède et… Royaume-Uni. Un sommet pour l’aide au développement est prévu à La Valette (Malte) en novembre.

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Redécouvrez la seconde partie de notre reportage : 

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TEXTES

Olivier BERGER, Chloé TISSERAND, Marie GOUDESEUNE

 

PHOTOGRAPHIES

Baziz CHIBANE, Jean-Pierre BRUNET

 

VIDEOS

Baziz CHIBANE

 

CONCEPTION, GRAPHISME, MISE EN PAGE

Quentin DESRUMAUX, Kilian DOR

 

REDACTION EN CHEF

Jean-Michel BRETONNIER

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